La vie, la mort, les souffrances, les joies, les peines. Ces choses, ces sentiments qui me glissent sur la peau sans jamais vraiment y pénétrer. Il n'y a bien que quand il est question de mon frère et de ma sœur des ténèbres que je peux ressentir ce qui se rapprocherait des émotions. Une certaine appréhension de les perdre comme lors de cette bataille où Lilith a perdu la vie face à un de ces anges descendus sur terre pour contrecarrer notre propre montée. Sytry aurait pu disparaître ce jour-là si je n'étais pas intervenu pour lui sauver la vie, nous sommes proches, nous sommes frères mais nous avions été sots de croire qu'on pourrait s'en prendre aux anges sans y perdre des plumes. Le manque d'informations, cette assurance qui nous a rendu aveugles et bien trop présomptueux. Nous avions perdu notre sœur, nous avions perdu Lilith et un peu de notre superbe en retournant auprès de Lucifer mais, il ne nous en a pas tenu rigueur, modifiant les légions pour qu'aucun démons ne se retrouve sans Lieutenant, la confiance ne s'était pas étiolée, il ne tenait qu'à nous de reprendre pieds pour mener à bien nos plans et récolter toujours plus d'âmes pour les Enfers. Lilith est revenue d'entre les morts, j'ai été content (du moins je le crois) de la voir réapparaître bien que notre lien soit bien moins fusionnel qu'avec Sytry, se sont des choses qui arrivent. On s'entend bien mais sans plus, cela ne nuit en aucun cas à nos plans.

Et il y a cette pointe de déception, ce goût d'inachevé sur le palais, cette épine dans le pied du nom de Caym. Délicieuse friandise à l'accent slave quand je l'ai rencontrée, au caractère de chienne enragée. Elle ne voulait pas se laisser aller à la tentation, il a fallu cinquante années pour briser les chaînes de cette petite chose. La rorture psychologique a defaut de la torture physique. La seconde aurait pu être si exquise, abîmer un corps parfait, me délecter de goût ferreux de son sang… Quel dommage qu'elle ne soit plus de chair et d'os une fois en enfer. Elle avait la beauté pour elle, ce regard farouche, des prunelles se refusant effrontément à la discipline. Cinquante années à lui bourrer le crâne à lui extirper ses moindres secrets, les moindres hontes qu'elle chercherait à me cacher pour les pervertir, pour les lui renvoyer Et plus je la torturais, plus je décelais de la passion, du plaisir, de l'envie, du désir dans les "coups" que je pouvais porter à son âme. Le début de la corruption de cette dernière. Quand on est dans ma position, on finit toujours par avoir un jouet préféré, un ou une subordonné(e) que l'on surveille du coin de l'œil avec fierté. Sauf que depuis quelques temps, cette petite chose m'échappe, ne reste dans mon giron que peu de temps avant de s'éclipser. C'est comme saisir du sable qui nous glisse inlassablement entre les doigts.

C'est fou comme on peut s'accrocher à des détails quand on a l'immortalité devant soi. C'est fou comme les tortures, les pactes, les démons, les anges et tout le reste demeure bien ancré dans ma mémoire et ce qu'a pu être ma vie avant l'enfer s'est envolé en fumée. Impossible de savoir qui j'étais avant Kobal, il ne reste plus rien de l'homme qui a pu exister il y a des siècles, je sais juste que je viens d'Italie, rien de plus. Ai-je réellement envie de le savoir? Pas le moins du monde, cela m'importe peu.