OUTFIT && SONGIl est là. Il est bien là. Une longue, très longue absence qui fut libératrice. Sytry contraint de veiller sur ma personne dans une explicable gêne due à une humanité non voulue, mais bien présente, transpirant de plus en plus dans chacun de mes pores, me torturant sans aucun répit, me faisant perdre la tête, me donnant l'envie de me faire sauter la caboche, de me foutre sous un train, de danser avec un déchu de premier ordre pour ne plus exister... Cependant, je ne peux pas être tuée, mon existence est liée à la stabilité de celle de l'humanité. Si je suis libérée, tout s'effondre, tout dégringole, tout se fissure... et pourtant, c'est mon seul réconfort, me murmurer intérieurement qu'un jour tout ceci s'arrêtera, une longue existence qui ne m'apporte plus aucun plaisir, si ce n'est les plaisirs liés aux produits qui permettent de soulager ma peine, cette douleur qui oppresse mon pauvre cœur, qui m'étouffe, qui me donne envie de hurler chaque minute qui me sont données. Je ne suis pas bien, je vacille, je suis devenue imparfaite, la risée du monde démoniaque, juste une ombre qui évite les siens alors qu'il y a encore quelques années j'illuminais les lieux par ma simple présence, mon machiavélisme n'ayant d'égal que ma beauté. Je ne suis plus rien, une pauvre petite souris tremblante, petite souris qui baisse les yeux, se tenant à la main d'une table en attendant qu'il termine son discours, en attendant qu'il accepte que je m'installe en face de lui. Je suis rongée de l'intérieur, disciple obéissante qui ne peut s'empêcher de bouillonner de l'intérieur. Comment ose t-il ? Sytry était beaucoup plus respectueux. Je ressens dans son ton de voix, dans chaque mot entrelacé sa déception, ponctuée d'une certaine rancune mêlée à une incompréhension décevante. Pensait-il que je souhaitais tout ceci ? Pensait-il que je pouvais contrôler mes sentiments répugnants. La vérité c'est que je ne contrôlais plus rien, et que je pouvais uniquement me servir de ma langue venimeuse et acérée pour me défendre. Plus moyen d'évoluer, plus aucune possibilité d'accroître ma puissance, je suis figée pour l'éternité, sans aucun objectif, sans aucun but, juste rester en vie telle une poupée qu'on expose lorsque cela s'avère nécessaire. Parader rarement, accepter l'indifférence, accueillir le respect faussé de mes subalternes. Mon nom suffisait à faire trembler les résistants, crainte de mes ennemis, me voilà un petit agneau qui se demande ce qu'elle fait là.
« C'est Ana »Je ne croise pas son regard, mon comportement restant respectueux, mais je ne me laisse pas faire, exprime ma fausse identité, non par crainte d'être entendu, mais surtout parce que Caym ne rime plus avec ce que je suis. Ana est bien plus complexe, et je sais qu'il s'agit de mon véritable prénom, seul souvenir qui me reste de mon existence humaine éphémère. Prénom qui est resté mon emprunte, seul mon nom de famille changeant en fonction des rôles qu'on me demandait de jouer. Je suis Ana, ancienne humaine, ancienne meurtrière, ancien bras droit du démon qui me fait face.
« Vous étiez absent Henry, la compagnie des autres est bien trop fade. Je préfère éviter ceux de ma race, je préfère ne pas entacher ma réputation, et je pense que cela peut être compréhensible » Ou pas, pourquoi, comprendrait-il ? J'étais sa petite chienne, dans tous les sens du terme, l'esclave guerrière désirée, obéissant, tuant en son nom, torturant, acceptant de me faire sauter des manières les plus dépravées possibles avec parfois encore les cadavres suintants de mes victimes dans la pièce. Le corps baigné du sang d'innocent, tandis que je le chevauchais pendant des heures ; poussant l'irrespect à son paroxysme de différentes manières. Le viol, le meurtre, la torture, des choses innommables ; calvaires de mon quotidien.
Je n'ai pas envie de trinquer, je n'ai pas encore de me laisser analyser par son regard inquisiteur. Il est à la recherche d'une faille pour s'y faufiler, il me connaît trop bien pour ne pas y arriver. Il était mon TOUT, mon tortionnaire, mon créateur, mon bourreau, il est ce que je regrette le plus aujourd'hui. Je pourrais trembler si mon âme habitait encore mon corps, je pourrais me laisser guider par l'envie de le laisser là, mais il reviendrait vers moi et d'une manière beaucoup moins délicate.
« Votre compagnie n'est pas détestable. Les choses ont changées, et à mon plus grand désarroi. » Je ne trinque pas, me contentant de m'enfiler ma coupe d'une traite, déplorant que l'alcool n'est pas d'effet sur moi, mais j'en apprécie le goût.
« Je me suis sacrifiée pour le bien de tous, pour vous Henry, j'étais capable de tout, et c'est ce que j'ai fait, vous n'avez jamais eu à douter de ma dévotion... pourquoi en douter aujourd'hui ? Parce que je suis fuyante ? Mais Henry, je pensais que vous n'appréciez pas la compagnie des chouinards. Vous avez vu votre frère, il a dû sans doute vous dire.... Comme cela doit être frustrant... toutes ces années de torture, tout ces siècles de massacre, pour être devenue ainsi. Je suis votre plus belle réussite, mais aussi votre plus beau échec » Ma langue est blasée, froide, mais ce n'est pas par attaque, non, il pourrait faire tout ce qu'il veut de moi, me tuer, me renvoyer en enfer, si seulement... Il peut rien faire de tout cela, me punir ? La douleur psychique ne me quitte jamais... la physique est bien plus supportable bien que je n'ai pas envie de rajouter de la peine à ma peine.
« qu'attendez-vous de moi ? » Je plante à ce moment là mon regard dans le sien.
« Une mission ? Quelqu'un à abattre ? » et là j'éclate de rire comme une folle, riant de ma propre bêtise, interpellant le serveur pour qu'il vienne me servir tandis qu'un doigt viendra jouer avec une mèche de cheveux
« J'oubliais, c'est impossible, trop de risque, il ne faut pas que je me fasse tuer.... » Mes lèvres viendront goûter le liquide alcoolisé de mon verre, quelques gorgées plus mesurées que les précédentes.
« Une petite pipe peut-être ? » Mon sourire s'élargira pour disparaître aussitôt, visage impassible d'une poupée de porcelaine.
« Je peux avaler ou non, quel est votre bon plaisir patron ? » Je prend de la distance, m'étirant tel un chat, la tête bourdonnant de différentes pensées qui me donnent la migraine, une voix d'enfant qui me supplie. Je prend ma tête entre mes mains... je vais devenir folle, je vais imploser, trop de bruit autour de moi, si seulement ils pouvaient tous fermer leur putain de gueule...
« Fermez là... foutez moi la paix » Je me crispe, mes ongles de plantant dans mon crâne, j'inspire, j'expire, je tremble, je suis projetée plusieurs siècles en arrière, effrayée, non ce n'est pas moi qui suis effrayée, c'est ce père de famille alors que je suis en train de sortir ses tripes de son corps, cela me dégoûte, je sens la nausée monter... mon éclat de rire interne me donne envie de dégueuler, je vais vomir... Je ravale ce qui remonte par ma gorge, attrape mon verre pour le vider à nouveau.
« et le spectacle continue... » qu'il aille tout simplement se faire foutre avec ses jugements, avec son incroyable expertise d'enfoiré démoniaque... Je lui grifferais bien le visage... cette pulsion mêlée avec le désir de lui baiser les pieds pour qu'il accepte cette pauvre chose que je suis... qu'il ose me regarder en face et me proposer des putains de solution...