[Yaden]

La journée ne commençait pas très bien. Je n'avais pratiquement pas dormi de la nuit, une heure ou deux tout au plus. Impossible de trouver le sommeil. Je m'étais tourné, retourné et re-retourné dans mon lit, voyant toutes les heures passer, en vain. Et honnêtement je ne savais même pas si j'avais réellement réussi à dormir un minimum ou si j'avais simplement été dissocié durant un moment. En tout cas, si j'avais dormi une heure ou deux par petites tranches de sommeil, je ne me souvenais pas d'avoir rêvé, ni d'avoir vu le rêve d'un alter. La nuit m'avait parue interminable. Et en me levant enfin, à 5h, j'avais l'impression d'être un zombie. En voyant ma tête dans le miroir je voyais que c'était aussi ce dont j'avais l'air. J'aurais pu rejoindre le casting pour The Walking Dead sans avoir besoin de maquillage. Je ne savais pas vraiment comment j'allais tenir la journée, surtout que je travaillais aujourd'hui.

A peine levé j'allais immédiatement prendre une douche dans l'espoir de me donner un peu d'énergie. Cela n'a pas eu l'effet que j'espérais. J'ai passé une heure dans la douche en pleine dissociation. Et c'est finalement Melanie qui avait pris le relais après ça. Relayé en co-conscience, je l'avais regardée finir la toilette du corps avant de le forcer à manger un morceau. Nous n'avions pas très faim alors elle n'avait pas réussi à nous faire avaler grand chose. Melanie avait entrepris ensuite de faire un peu de ménage, pensant que ça nous ferait du bien. Un esprit sain dans un corps sain dans un environnement sain. Il y a eu un nouveau switch vers dix heures. Cette fois j'étais parti dans l'innerworld alors que Jamie avait pris le front. Je crois qu'il a joué un peu à la console, mais je ne saurais pas dire à quel jeu ?

C'est en tout début d'après-midi que je reprenais le front. Et honnêtement je détestais ça. Je n'avais aucune envie de gérer la vie aujourd'hui. J'étais fatigué et pas que physiquement. Ce n'était pas un bon jour et j'aurais tellement préféré qu'un autre alter prenne ma place. J'ai essayé, j'ai vraiment essayé de provoquer un switch en essayant des triggers positifs. En vain. J'étais coincé au front sans avoir mon mot à dire. Les joies d'être l'hôte du système... Je n'avais que rarement la possibilité de me retirer dans l'innerworld.

Je partais finalement travailler sans prendre le temps de déjeuner. Je n'avais toujours pas spécialement faim et je n'avais pas la force pour me forcer à manger. Tant pis, cela pouvait attendre ce soir. Je demandais à ne pas m'occuper des clients et je préférais faire l'inventaire et ranger les étagères du magasin. J'ai fini par avoir Jamie en co-conscience en milieu d'après-midi, sa bonne humeur naturelle m'apaisait un peu. Et nous avons eu un court moment de blend où nous étions perdus, les limites entre lui et moi étaient devenues floues pendant un moment. Nous avions pu prendre une pause à ce moment-là le temps de retrouver nos esprits. Et finalement, la journée s'est plutôt bien passée.

Lorsque je quittais le magasin, Jamie venait de me laisser. Et comme chaque fois, j'étais physiquement épuisé. Même s'il n'était pas en co-front ou en front, Jamie déborde d'énergie et c'est toujours épuisant pour le corps car il a beaucoup d'influence passive. J'étais le dernier employé et je prenais soin de bien fermer le magasin, vérifiant à trois reprises pour en être sûr. Avant de mettre mes écouteurs et de marcher jusqu'à ma voiture. Arrivé sur le parking, j'ai eu l'impression d'être suivi. J'aurais dû éteindre la musique mais je me persuadais que ce n'était que de la paranoïa et j'avais choisi d'ignorer cette impression. C'est quand on me poussait vers ma voiture que je me rendais compte que ce n'était pas juste une impression. Pendant une seconde je m'étais figé de surprise. Je ne savais pas pourquoi, j'avais la sensation que ça me rappelait de mauvais souvenirs auxquels je n'ai pas accès. Après quelques secondes je me retournais vers toi, alors que tu me demandais si je te reconnaissais. Je te regardais entre surprise et crainte, fixant ton visage un moment en silence. Mais non, je ne te reconnaissais pas.

"E-Excusez moi ? On se connait ?"

Je ne te connaissais clairement pas, mais tu ne serais pas la première à me reconnaître. Sauf que cette fois c'était différent. Tu semblais m'en vouloir. En fait non, tu semblais carrément furieuse. Et je n'avais absolument aucune idée de ce qu'on avait pu faire pour provoquer une telle colère. Mes alters n'étaient pas du genre à chercher les problèmes. Bon, j'admettais quand même que Dean avait parfois tendance à nous mettre dans des situations délicates parce qu'il ne ressent pas la peur ou le danger. Seulement ce n'était jamais lui qui commençait, il ne faisait que se défendre ou défendre quelqu'un d'autre. Et là tu me disais de te donner une bonne raison pour que tu ne me "pète pas la gueule" là tout de suite. Et je ne savais vraiment pas quoi dire !

"Je crois que vous me confondez avec quelqu'un d'autre ?"

Je ne trouvais rien de mieux à dire, même si je n'avais pas franchement envie de prendre les coups pour quelque chose que je n'avais pas fait. Bien que ce ne serait malheureusement pas la première fois que cela arriverait.
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Finalement, il était clair que je n'étais pas aussi paranoïaque que je le pensais. Maintenant que tu m'avais, assez violemment, interpellé, je savais que cette impression d'être suivi n'était pas le fruit de mon imagination. Il semblerait que mon instinct ne se soit pas planté cette fois, malheureusement pour moi. Je te dévisageais, involontairement, entre surprise et confusion, alors que tu étais visiblement furieuse de me voir. Seulement j'étais bien incapable de savoir de quoi tu parlais. Je te regardais mais ni ton visage, ni ta voix, ne me paraissaient familiers. J'étais à peu près certain de ne t'avoir jamais vue. Et malheureusement je n'avais donc aucune idée de ce dont tu parlais. Je te demandais alors si l'on se connait, avant de dire que tu me confondais avec quelqu'un d'autre. Ce qui était autant une question qu'une affirmation.

Cependant tu ne paraissais pas me croire, visiblement furieuse, tu semblais croire que je mentais. Pire encore, tu avais l'air encore plus énervée. Même si je ne jouais absolument pas. Je n'avais aucun moyen de le prouver. Et je me demandais vraiment si tu me confondais avec quelqu'un ou si c'était un alter que tu avais rencontré. Je n'en avais aucun souvenir, même pas un vague sentiment de familiarité. Il n'y a pas si longtemps, cette absence totale de sensation de déjà-vu, m'aurait confirmé à coup sûr que tu me confondais avec quelqu'un. Sauf que depuis quelques mois, il y avait ce nouvel alter étrange qui provoquait des amnésies totales. Alors j'étais incapable de savoir si c'était lui que tu avais croisé ou littéralement une autre personne. Après tout, j'avais un visage assez banal.

Tu me disais finalement que tu te souvenais de moi, que j'étais le connard qui t'avait bousculée et fait perdre de vue la personne que tu pourchassais. Je ne sais pas ce qui était le plus étrange entre le fait que tu sois si énervée pour une bousculade et le fait que tu avais choisi le mot "pourchasser". En temps normal, on parlait d'une personne qu'on suivait, qu'on cherchait, pas qu'on pourchassait. Cela semblait vouloir dire que tu ne voulais pas simplement voir cette personne. Et je ne voulais pas en savoir plus, je devais partir avant que la situation ne dégénère. Ta colère commençait à m'inquiéter. Je n'avais pas spécialement envie de prendre les coups pour un autre... Et ton regard faisait écho à quelque chose qui me faisait perdre pied avec la réalité. Ma vision devenait plus sombre et j'avais l'impression que les sons provenaient de derrière une vitre ou un mur. Je devais faire appel à toute ma concentration pour rester ancré.

"J-je ne sais pas de quoi vous parl-..."

Au même moment tu me coupais la parole pour dire que tu allais me rafraîchir la mémoire. La seconde d'après tu me cognais violemment contre la vitre de ma voiture. C'était le coup de grâce. Mon regard se perdait dans le vague, devenant presque vide tout comme mon visage qui se vidait de toute expression. Je me sentais reculer alors que personne ne semblait prendre le dessus sur moi, comme si mon cerveau lui-même ne savait pas qui mettre au front. Mon regardait passait à travers toi comme si je ne te voyais plus. Si tu parlais, je n'entendais pas non plus. Je me sentais complètement déconnecté de la réalité. Et là enfin je sentais un autre alter prendre le dessus sur moi, lentement. Mais j'étais trop dissocié pour faire attention à qui. En pleine dissociation, je ne me retrouvais ni au front, ni dans l'innerworld. Mon esprit s'était perdu dans la lune.

[Switch avec Dean.]

Il m'a fallut une minute ou deux pour pleinement prendre possession du corps. Yaden était trop dissocié pour savoir ce qu'il se passait autour de lui. Mon regard allait à droite, à gauche. Je fronçais les sourcils, regardait aux alentours sans te porter attention, le temps de m'ancrer et d'essayer de savoir ce qu'il se passait. Le vague souvenir d'avoir travaillé et de vouloir rentrer à la maison. L'impression d'avoir fait une mauvaise rencontre, un quiproquo ? C'était vague, mais suffisant pour savoir ce qu'il se passait. Je te regardais alors et remarquais ta prise sur ma veste. Agacé, n'aimant pas être touché, je tentais de te faire lâcher. Je répondais sans prendre la peine d'imiter la voix ou le comportement de l'hôte.

"Ecoute, je ne sais pas qui tu es, ni ce que tu nou-me veux. Tu te trompes de personnes et tu me fais perdre mon temps."
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