T'es allé à l'école et t'étais un cancre.
Alors, t'as fait l'armée et t'étais bon.
Puis, tu es devenu flic et t'étais bon, tu l'es peut-être encore un peu dans l'fond…
Enfin, tu as rêvé de mariage et t'étais tendre.
Mais, tu as été trahi, utilisé, manipulé et tu as vrillé.

Une vie simple, des désirs simples, des buts précis. C'est ce qui faisait de moi l'homme que j'étais à l'époque. J'avais coupé les ponts avec ma “famille”; un père violent, une mère incapable de reconnaître les faits quand il y avait toutes les preuves sous les yeux… Il était préférable que je disparaisse de l'équation à l'issue fatale pour lui ou bien pour moi ou encore pour elle. Je me suis engagé tôt dans l'armée, commençant au bas de l'échelle pour la gravir rapidement dans la sueur et le sang. Je n'avais pas peur de prendre des coups ni même d'en donner, jamais dans l'insubordination, toujours dans l'abnégation. Un putain de bon petit soldat avec une soif d'apprendre toujours plus de méthodes, toujours plus d'armement, toujours plus. J'en ai vu des horreurs, j'en ai commises aussi sous la bannière étoilée; les tortures pour quelques maigres informations, les bains de sang dans des territoires reculés du monde pour abattre une cible unique. Les gradés savaient enjoliver ces faits et cela ne m'empêchait pas plus de dormir la nuit. On me disait né pour ça, né pour être soldat, taillé pour le combat. Et putain, ils avaient raison, le patriotisme agrippé aux tripes et ces dernières en plombs tant je ne vacillais jamais. Gagner des médailles ne me faisait rien au bout du compte, seul le travail accompli avait de la valeur à mes yeux. Ces mêmes yeux qui une fois rivés dans le viseur faisaient mouche même à des distances folles. 

J'aurais pu faire carrière toute ma vie, parcourir le monde dans ce qu'il a de plus sordide, sanglant et répugnant. Pourtant, j'ai eu envie de me poser, d'avoir une vie moins déphasée. Impensable pour moi de retourner dans mes contrées natales, impossible pour moi de retrouver ces paysages trop familiers. Pas mal de fric de côté, de belles médailles et de solides recommandations; j'ai pu entrer aux mœurs sans moindre soucis. J'ai découvert le terrain sous un autre jour, bitume, amertume et violence au sein des foyers aux allures de perfection incarnée. Tout ce que l'armée m'a enseigné a servi dans la rue et dans les salles d'interrogatoire. Les victimes, au premier abord, avaient un peu de mal avec ma carrure et ma gueule de truand. J'ai appris à user de cette carcasse d'ours pour leur montrer que je ne voulais que leur bien, que mon but était de les mettre en sécurité. Peu à peu, j'ai fait ma place dans certains milieux, dans la traite d'êtres humains, dans les bordels et autres lieux d'escorting. Les filles aimaient bien ma présence, ma carte était glissée entre les mains des plus “fragiles” pour être certaines d'avoir une véritable oreille attentive en cas de besoin. Et c'est comme ça que je suis tombé sur Birdy, une brindille couverte de bleus qui peinait à tenir debout. Son regard énigmatique a croisé le mien et j'ai su que c'était elle. 

On a eu trois belles années ensembles une fois son affaire close et passée devant le juge. Je n'ai rien tenté avant pour que la sale crevure qui l'avait passée à tabac finisse bien derrière les barreaux. Des années sublimes à mes yeux malgré mes absences répétées, mes horaires à chier et mon manque de vacances. Elle disait comprendre. Elle disait ne pas m'en vouloir. Elle disait m'aimer comme j'étais. Je crois bien avoir fait preuve de tendresse, de romantisme avec elle; quelques cadeaux, des petits week-end loin de la ville, des dîners aux chandelles. Bref… vous la voyez venir la douille? C'est le soir où je lui ai demandé de m'épouser que tout est parti en couille. Ses rires résonnent encore dans ma tête, ses paroles brisant ce cœur que j'avais mis à nu pour elle, avec elle. La brindille était une Louve perfide… non une hyène. Elle s'était servie de moi, bossant toujours avec son mac, faisant des passes sous notre toit, dans notre lit et récoltant des infos pour ce dernier. Ces nombreuses fois où j'avais parlé de mes affaires avec elle parce que je lui faisais confiance et que je trouvais son regard extérieur rafraîchissant, aiguisé… Elle aurait bien pu me coûter ma plaque cette femme, sublime sirène cherchant à me noyer lentement par pur sadisme. Des éclats de voix, des coups, un couteau planté dans le dos (métaphoriquement). 

La mort aurait été préférable sur le champ de bataille que cette petite mort dans un appartement cossu de Los Angeles. Je me suis cassé ce soir-là, incapable de remettre les pieds sous ce toit. J'ai récupéré mes armes, quelques affaires balancées dans un sac, retour à la vie militaire où le paquetage est plié en quelques minutes. Avant de disparaître, je lui ai promis que si je les revoyais; elle et son mac, je leur ferais la peau. J'ai songé à quitter la ville, à rendre ma plaque… puis j'ai réfléchi au mal qu'elle avait pu faire en récoltant ces quelques informations et j'ai préféré rester. Ça va faire deux ans qu'elle m'a brisé le cœur, quatre ans que je dérive dangereusement. Alcool, nanas que je cueille pour quelques heures de plénitude avant de retourner dans la fange, dans ce que l'humanité peut faire de pire sur cette terre. Je flirte dangereusement avec la loi que je suis censé représenter avec mon insigne. Qu'importe, les résultats sont toujours présents et c'est ça qui compte pour la hiérarchie, elle ferme quelque peu les yeux sur mes dérapages, peu nombreux heureusement. Mon argent passe dans des nuits d'hotels, dans les bars, qu'importe, je ne suis pas matérialiste et il ne me servirait à rien en dehors de ça de toute manière.